Génération DeGen

Inspirée de la tradition des carnets de notes ethnographiques, cette newsletter a pour objectif de présenter successivement des premières analyses sur la génération DéGen, des portraits de DéGens.

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Par matthieu quiniou
2 mai · 5 mn à lire
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L’esthétique et l’univers DeGen

L’art est au centre de la construction symbolique des DeGens, les photographies de profil arborés comme des signes d’appartenance, des totems DeGens, n’en sont que la face immergée. Les DeGens participent à la création et à la validation par le marché, de l’art numérique et également de l’art éphémère (notamment l’art urbain) en structurant une nouvelle contemporanéité pour l’art qui accorde à la virtualité la place prédominante qui est maintenant la sienne dans nos sociétés.

L’art DeGen une mise en scène technologique

L’art DeGen interroge et s’appuie sur les technologies numériques, la cryptographie, l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle, augmentée et mixte et s’inscrit dans l’approche chère à Léonard de Vinci de l’art comme cosa mentale, en mettant en scène les possibles des numériques pour en rendre saisissables la portée technique, culturelle et sociétale. Les artistes jouent avec les codes et les outils de la technologie et de la culture blockchain pour renouveler des courants artistiques en proposant des expériences nouvelles au spectateur, au mécène et au collectionneur. Puzzle Bitcoin, art génératif, Async art, art numérique évolutif sont autant de courants mettant en perspective les technologies de l’information et de la communication.

Tweet de coin_artist, premier puzzle Bitcoin, 2015<br>Tweet de coin_artist, premier puzzle Bitcoin, 2015<br>

Constructions et sources des symboles et totems de l’art DeGen 

L’art DeGen se nourrit de la culture numérique, notamment des mèmes. Au-delà de la vente sous forme de NFT de mèmes connus, certains mèmes sont intégrés comme des marqueurs symboliques dans les œuvres DeGen. C’est le cas par exemple des laser eyes, modification des yeux de photographies de profil par des utilisateurs de réseaux sociaux (essentiellement sur Twiter) souhaitant marquer leur soutien à Bitcoin et plus largement à la blockchain et leur croyance dans l’avenir de cette technologie et de ses usages, notamment en matière de capacitation citoyenne (identité auto-souveraine…). Des personnalités du monde des entreprises technologiques, comme Elon Musk, Michael Saylor, du sport comme Tom Brady ou des politiciens américains comme Warren Davison ont ainsi affiché pendant plusieurs semaines des laser eyes pour marquer cette affiliation idéologique. Ces laser eyes se retrouvent dans de nombreux projets de NFT comme un des symboles forts de l’art DeGen.

Tweet de larrylawliet.eth d'un BAYC laser eyes et profil de Michael Saylor sur Twitter <br>Tweet de larrylawliet.eth d'un BAYC laser eyes et profil de Michael Saylor sur Twitter <br>

Des Creative commons aux NFT : la rareté numérique et la réémergence de la valeur cultuelle

L’art DeGen s’appuie structurellement sur les NFT, c’est-à-dire des jetons non fongibles, capsules de rareté et de possession numérique qui se définissent par leur caractère unique, non interchangeable et spécifiquement identifiable. Les NFT invitent à réfléchir à l’évolution et aux nouvelles frontières des industries culturelles. Ainsi avec les NFT, un nouvel équilibre se dessine entre la valeur cultuelle et la valeur d’exposition de Walter Benjamin, la reproductibilité technique de l’œuvre numérique étant restreinte par cette même technique, créatrice de biens rivaux numériques. La valeur cultuelle est ainsi réinvestie dans l’univers numérique de l’art DeGen par une déclaration d’authenticité et de rareté juridico-technique, donnant parfois un accès privilégié unique à son détenteur appelé à devenir un collectionneur actif, un coauteur en puissance, en capacité d’agir sur l’œuvre via ses métadonnées.

Par l’utilisation des NFT, l’art DeGen se distingue aussi radicalement d’un web 2 dominé par une approche Creative Commons dévoyée et devenue la pierre angulaire de la subordination de la création de contenus originaux au profit de logiques de collectes et de traitements de données personnelles dans un but essentiellement publicitaire.

L’art DeGen fait aussi écho à la notion d’art dégénéré et à la violence arbitraire de l’interdiction de l’art moderne non officiel. L’art DeGen est aussi, à ce titre, une mise en abime des critiques liées à son support de formalisation, de présentation et de commercialisation : la blockchain et les crypto-monnaies, accablées de toutes les tares (terrorisme, blanchiment d’argent, consommation excessive d’énergie…).

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Le vocabulaire DeGen : positivité, productivité, conscience de soi et auto-gestion

Les DeGens ont créé un vocabulaire qui leur est propre, il est en partie issu de celui de la communauté crypto et des jeux-vidéo. Le vocabulaire DeGen est à la fois auto-gestionnaire et coopératif. Le sigle DYOR (Do Your Own Research) utilisé pour inviter une personne à se constituer son propre avis à partir de sources multiples (généralement accessibles gratuitement) traduit la posture potentiellement éclairée du DeGen entre recherche de connaissances, auto-formation et pulsion. La pulsion du DeGen se retrouve par exemple dans l’acronyme FOMO (Fear Of Missing Out), littéralement peur de rater (une opportunité) en ne participant pas immédiatement à une tendance, généralement associée à une forme d’irrationnalité ce comportement est assumé par le DeGen. Encore plus spécifique au vocabulaire DeGen, l’acronyme WAGMI (We Are All Gonna Make It) est un élément de langage inclusif fédérateur des DeGen vers un objectif commun de transformation de la société ou en tout cas de réussite partagée. En opposition avec le WAGMI inclusif se trouve le terme NGMI (Not Gonna Make It), prophétisant l’échec d’un projet ou d’une posture en inadéquation avec les valeurs DeGen.

Cette approche ethnographique, ce voyage chez les DeGens, éclairent à travers l’apparition de ces nouveaux acteurs, des questions centrales sur les mutations en cours, les changements de paradigmes économiques, sociologiques, axiologiques, identitaires. Ces pratiques numériques actent le hic et nunc d’un monde hybride, le numérique n’est plus le double d’une réalité tangible, il ne reproduit pas le monde, il en devient la matrice, il ouvre sur une vision post schopenhauerienne : d’un « monde comme volonté et représentation » dont il convient de décrypter le mode de développement. 

Rendez-vous mardi prochain pour un nouvel article sur la génération DeGen